Bonjour Hervé, est-ce que vous pouvez nous parler de votre parcours et de votre travail?
J’ai étudié à l’école des Beaux-Arts de Rennes, puis j’ai obtenu une bourse d’artiste en Allemagne à Cologne avec l’Office Franco-Allemand de la Jeunesse. J’y ai rencontré Bernard Lamarche-Vadel qui était critique et historien d’art, et ai beaucoup échangé avec lui autour de mon travail, ensuite, à Paris. J’ai toujours mené de front un travail de photographie et de sculpture, j’ai moins montré la photographie à un moment et maintenant je la juxtapose à mon travail de sculpture. Il y a une relation qui s’est progressivement établie entre mes photographies et mon travail de sculpture et les deux deviennent de plus en plus inséparables. Mon travail s’articule de séries en séries depuis 1983. Des séries qui déclinent des approches différentes de la sculpture. Je l’envisage comme un mode de déambulation sur le territoire de la sculpture autour de matériaux et de couleurs avec des approches très différentes d’une série à l’autre.
Les séries sont structurées par des pratiques différentes ?
Les premières séries étaient des pièces de béton recouvertes de couleur. Il y avait un travail de déconstruction, de reconstruction et de recouvrement du béton. Un travail dans l’espace dont on pouvait dire qu’il était influencé par les sculptures de De Kooning et en particulier les bronzes qu’il avait exposés à la Kunsthalle de Cologne, et que j’avais vu en 1983. Ensuite, j’ai eu des approches différentes qui passaient plus par la photographie. J’utilise la photographie comme un fond de données, de recherche de couleurs, de volumes et de possibilités pour la sculpture. À partir de ce fond, je réalise des pièces.
Les séries ne sont pas articulées par des thèmes fixes mais plutôt par des états et des découvertes personnelles. La série « arrêt sur image » par exemple est venue de la constatation que dans de nombreux films très différents, les réalisateurs utilisent un objet comme relais symbolique du jeu de l’acteur et du récit. Un objet qui cristallise le sens du film et en synthétise l’énigme. Je me suis donc approprié certains de ces objets comme le lustre du « salon de musique » de Satyajit Ray ou une licorne fabriquée par un policier dans Blade Runner, etc… Ayant retrouvé cette façon de faire chez plusieurs réalisateurs, j’ai présenté ces objets dans le cadre d’une exposition « mettre en scène » à Rennes. Toutes les pièces ont été des agrandissements de maquettes dans l’espace du TNB.
En fait mon travail s’identifie à cette idée de Nietzsche qui consiste à organiser son chaos et pour ma part à y déambuler. C’est quelque chose qui se crée à la fois dans et hors de l’atelier. Je suis sensible à la dimension conjoncturel, aux connections qui se font avec mes recherches du moment plutôt que quelque chose de plus programmé. J’aime bien l’idée de logique du hasard. Je cherche à garder une certaine liberté et une capacité à capter des rebonds à insérer dans mon travail. À New York, lorsque j’ai obtenu la bourse de la Villa Médicis hors les murs à l’invitation d’Armant, j’ai réalisé un travail d’enveloppes, appelé « fenêtre sur… ». J’avais juxtaposé des photographies avec des listes de morceaux de musiques entendues à la radio New Yorkaise. Il y avait donc une sorte de mode d’emploi qui rassemblait des cadrages de New York et des titres de morceaux connus. Ma dernière série sont des maquettes d’architecture inspirée des folies architecturales. Ce sont à la fois des architectures et des sculptures, très colorées. Pour moi il s’agit bien de créer des processus et des séries qui rebondissent des unes aux autres sans obéir à une structure déterminée en amont.
Comment vous travaillez avant de réaliser vos sculptures ?
J’ai tout un travail de collecte à partir de photographie et d’observations : toujours la déambulation. Et puis je rassemble ces informations à l’atelier. L’environnement et ses heureux hasards sont des choses auxquels je suis sensible et que je m’efforce de capter. Par exemple à Nancy, pour une commande publique dans une école d’ingénieur, j’ai trouvé dans une salle, un grand tableau couvert d’équations avec un petit point d’interrogation au bout. C’est cet objet que j’ai sérigraphié et placé dans l’école avec des fenêtres qui le cadraient et le mettaient en perspective. Il y a un jeu de sensibilité, de réceptivité aux éléments et à l’environnement qui me paraît crucial. En ce sens, je pense qu’il y a aussi un rapport à la poésie dans mon travail. J’ai par exemple réalisé une série qui s’appelle « phosphène » à partir de l’observation de la chambre des époux de Mantegna, qui peignait et plaçait ses personnages dans le paysage comme des statues posées . Ce sont des citations, des clins d’œil, une façon d’observer les choses qui me ramènent à la sculpture. Je fonctionne avec un œil exercé à reconnaître la sculpture là où on la discerne pas forcément immédiatement. Avec l’aide de la photographie, je cherche la sculpture dans la vie pour la ramener à moi. En me promenant dans la rue, je vois des choses naturellement posées qui pourraient être des sculptures d’autres artistes. Ce regard, c’est avant tout ce que j’essaie de transmettre aux étudiants, et il demande une culture plastique minimale. Pour ma part, je ne pourrais pas conduire mon travail sans me positionner par rapport à l’histoire de la sculpture, aux ruptures et aux continuités dans lequel on peut inscrire son travail. Pour moi, ce regard conduit le geste du sculpteur.
« Arrêt sur images », « Fenêtres sur… » : le cinéma vous inspire ?
Oui je pense qu’il y a une relation assez forte entre la sculpture et le cinéma. D’ailleurs Mellies l’avait tellement vu qu’il animait des sculptures, des cartes à jouer et de nombreux objets dans ces films de prestidigitation. C’est d’ailleurs quelque chose que Dominique Païni a clairement formulée dans son exposition sur Hitchcock avec le verre de lait dans Soupçons autour duquel s’articule toute l’intrigue du film. Et donc oui, je suis intéressé par la photographie, la sculpture et le cinéma et j’ai envie que mon travail soit un parcours qui déambule sur tous ces territoires. Il y a une phrase de Bachelard qui m’a toujours accroché, dans la poétique de l’espace : “chacun devrait dire ses bancs, ses allés, ses haies, chacun devrait décrire la cartographie de ses campagnes perdues“. Cette phrase-là, comme l’organisation du chaos de Nietzsche ou “la structure ou la mort“ déclaré par Lacan résonnent en moi et influencent mon travail. C’est pour cela que je ne me sens ni exclusivement photographe, ni sculpteur, ni même peintre, alors que je travaille beaucoup la couleur. Pour moi ce sont des medium différents pour une même quête transversale.
Films, musiques pops : vous composez une cartographie qui n’est pas seulement personnelle mais qui a aussi un lien avec l’époque ?
Oui tout à fait. Je cherche à confronter l’époque à mon univers personnel et à la confronter à l’héritage de l’histoire de la sculpture avec des sculpteurs comme Le Bernin ou Rodin, qui sont des artistes importants en tant que tel pour un sculpteur, ou des parrains plus personnels comme Picabia, Joseph Cornell et beaucoup d’autres. Effectivement une des question que j’essaie de poser dans mon travail c’est comment pouvoir faire de la sculpture et quel type de pratique cela demande à notre époque. Mon interrogation sur la dimension contemporaine de la sculpture est centrale.
Il y a une dimension de critique, de politique dans votre travail ?
C’est certainement critique et donc politique, même si ça ne saute pas aux yeux et que l’humour permet aussi de prendre un peu de recul. Plutôt que frontalement, c’est par un positionnement de circulation et de mouvement que j’exerce cette critique. J’utilise beaucoup le bricolage. C’est aussi une économie, ça peut-être la récupération de matériaux, mais aussi l’intégration d’objets neufs manufacturés. J’ai certes pu travailler avec des entreprises pour la commande publique, mais le bricolage est aussi une position que je me donne pour créer hors d’un système économique à la fois plus coûteux et plus standardisé. Je pense que le bricolage apporte des trouvailles et porte son génie propre. On peut se référer au texte de Levi-Srauss. L’utilisation dans une certaine mesure du kitsch dans mon travail est aussi une position et un rapport à l’époque et son économie. On peut penser au texte de Greenberg sur le kitsch, qui explique l’introduction de ce kitsch dans le quotidien de chacun depuis le XIXème siècle.
C’est certainement critique et donc politique, même si ça ne saute pas aux yeux et que l’humour permet aussi de prendre un peu de recul. Plutôt que frontalement, c’est par un positionnement de circulation et de mouvement que j’exerce cette critique. J’utilise beaucoup le bricolage. C’est aussi une économie, ça peut-être la récupération de matériaux, mais aussi l’intégration d’objets neufs manufacturés. J’ai certes pu travailler avec des entreprises pour la commande publique, mais le bricolage est aussi une position que je me donne pour créer hors d’un système économique à la fois plus coûteux et plus standardisé. Je pense que le bricolage apporte des trouvailles et porte son génie propre. On peut se référer au texte de Levi-Srauss. L’utilisation dans une certaine mesure du kitsch dans mon travail est aussi une position et un rapport à l’époque et son économie. On peut penser au texte de Greenberg sur le kitsch, qui explique l’introduction de ce kitsch dans le quotidien de chacun depuis le XIXème siècle.
Mais dans les constituants de mon travail, il y a également une mise à distance par la pratique d’une forme d’humour. D’ailleurs, je pense que l’humour est aussi un élément très important de l’enseignement. L’humour est souvent salvateur. Le maître au milieu de son atelier, cela fait un peu sérieux et triste. L’humour fait donc partie à la fois de mon enseignement, en même temps qu’il est un des moteurs de mon travail personnel.
Le débat figuratif/non figuratif il vous paraît pertinent dans le champ de la sculpture ?
Franchement je ne pense pas. La figuration est peut-être moins directe, plus sophistiquée aujourd’hui. Elle passe peut-être d’avantage par le signe, mais elle reste très présente. Quand j’étais étudiant, il y avait en permanence ce débat dans l’école entre les figuratifs et les non-figuratifs ou abstrait, mais finalement ça ne me paraît plus vraiment d’actualité. Il y a bien sur beaucoup d’artistes qui sont dans une épure géométrique et abstraite, mais moi je n’ai pas du tout cette approche, ce qui ne m’empêche pas de m’y intéresser ! Je pense qu’on peut se saisir de tout pour construire son propos, et que c’est le propos qui compte plus que le strict registre d’expression.