Entretien avec Dominique Marchès,
Artiste Commissaire, Directeur Maison max Ernst.
Dominique Marchès.
Comme étudiant, tu as eu la chance de partager l’enseignement de Bernard Lamarche-Vadel. Au début des années 1980, celui-ci défendait une vision pluraliste, historique et internationale de l’art opposée à l’enseignement, souvent dogmatique, pratiqué à l’époque dans nombre d’écoles d’art où l’art conceptuel et analytique était dominant. Je me souviens de tes sculptures abstraites d’esprit déconstructiviste : des assemblages qui soudaient le minéral, le ciment, le plâtre, des bois de récupération et des couleurs vertement appliquées, dans une gestuelle débridée. La philosophie et poétique de BLV et ta pratique alerte et joyeuse de l’art semblent perdurer depuis quarante ans pour constituer l’oeuvre paradoxale qui te caractérise.
Hervé Le Nost.
Juste après le diplôme en 1983, en résidence à Cologne, j’y avais rencontré Bernard Lamarche-Vadel grâce à Barbara Thaden. Il m’a fait partager sa vision de l’enseignement de l’art, une remise en cause des modèles, il attendait des artistes une radicalité, l’invention de langages. Son écriture, je l’ai mieux connue à Paris en pratiquant sa bibliothèque. L’idée du paradoxe induit une réflexion sur la part du sensible et de la mise à distance dans le travail, l’imbrication de contraires ; cette réflexion, je l’adopte effectivement dans la conception
de mon travail.
D.M.
Ton oeuvre est traversée par des formes, des couleurs, des objets, des images, des figures qui empruntent et utilisent des matériaux, des supports, des techniques multiples, des arts du feu aux procédés numériques. Il en résulte des propositions qui font le grand écart entre sujets de mémoire, de cultures non occidentales, d’archaïsme… et des objets bien contemporains, anthropomorphes, voire usuels relevant de l’imagerie populaire. Par quel processus de pensée, de production, de rencontre, ce baroque s’impose-t-il ?
H.L.N.
Des étapes et des contextes fondent mon travail. J’ai grandi avec la décolonisation, Mai 68, la guerre au Vietnam… Le monde me parvenait en partie sur mon transistor, par les livres, la musique, les vacances, les cours de dessin du mercredi, les amitiés. Une adolescence marquée par la campagne, où je réside encore, m’a permis de vivre dans une ruralité que décrivent bien les films Farrebique, Biquefarre. Lors d’un séjour étudiant à Leicester, j’ai suivi le cours de Richard Wentworth qui renouvela mes repères, comme le fit plus tard la visite de monuments et jardins baroques en Allemagne, et en Italie. J’y ai aussi rencontré à Turin le contexte de l’arte povera. En 1988, avec le soutien d’Arman et de François Rouan, j’ai obtenu la Villa Médicis hors les murs à New York. Antoni Muntadas que je connaissais m’a fait découvrir alors la banque d’images de la Bibliothèque de New York. Cela a précisé le statut que je donne à l’image : elle peut être un support et une matière à concevoir en amont de mes projets. Mon baroque est composite, nomade, local, constitué de pays, de l’archipel des Antilles ; il définit un « usage du monde », porte une joyeuse défiance à l’égard des appartenances.
D.M.
Pour travailler la céramique ou le verre, tu voyages à la source ou à la rencontre de savoir faire proches ou lointains. La transmission et le partage des techniques traditionnelles seraient-ils de l’ordre d’une permanence artisanale, culturelle et universelle, opposée à l’immédiateté et l’immatérialité des valeurs productives d’aujourd’hui ?
H.L.N.
étudiant, je m’intéressais à ces matériaux proscrits, considérés trop artisanaux. Je les ai introduits dans mon travail avec des pièces en terre résinée en1987, puis en porcelaine pour l’exposition « Île, terre, eau, ciel » à ton invitation à Vassivière en 1994. Depuis 2010, j’ai testé leurs possibilités comme à l’Académie des beaux-arts de Chine à Hangzhou en 2017 et au Taoxichuan Ceramic International Studio à Jindezhen en 2018, et au Centre international des arts verriers à Meisenthal en Lorraine depuis 2012. Leurs temporalités incontournables les séparent de l’immédiateté, mais n’excluent pas des points d’intersection inattendus entre un cheminement et des lignes droites plus immatérielles en créant des rencontres fortuites. Mon travail s’appuie sur des étapes et des contextes constitués d’archives photographiques, de nécessités d’humour, de techniques lentes ou directes, de paradoxes…