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2020

Des étoiles au monde

Isabelle Tessier,
Directrice de l’Artothèque de Vitré, Commissaire

Depuis plusieurs décennies, l’oeuvre d’Hervé Le Nost s’articule autour de séries issues de procédés plastiques que sont l’assemblage, la sculpture, l’installation, le dessin, la photographie, la vidéo… associés à des techniques diverses telles que le verre et la céramique. Ces procédés, qui interagissent les uns avec les autres, émergent grâce à un archivage régulier de photographies dans lesquelles l’artiste puise pour créer sa propre « fabrique du regard ». Le cheminement du travail se structure par des combinaisons et des rapprochements avec les territoires de l’art et l’idée du chaos nietzschéen : « Il faut porter encore en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. »¹ Les pièces qui en résultent se situent à l’intersection de sources et de contextes qui les déterminent et en déterminent les variations. L’oeuvre englobe la complexité d’un monde qui entre en résonance avec la propre histoire de l’artiste et des formes d’écriture qu’il fait converger vers le champ des arts plastiques. Hervé Le Nost revendique le principe de farfelu, de rapprochements fortuits qui ont cette capacité de réduire les frontières de l’art et de la culture. Son intérêt pour les cultures populaires lui permet non seulement d’échapper aux modèles établis mais également de remettre en jeu et de réinventer des expériences qui placent sa pratique dans un équilibre précaire d’une richesse saisissante. Un univers s’ouvre sur une exploration de matières et de leurs potentialités grâce à des collaborations avec des ateliers tels que le Centre international d’art verrier (CIAV) de Meisenthal en Lorraine, Henriot-Quimper ou l’Institut de la céramique de Jingdezhen en Chine. De même, la musique lui permet de prélever des fragments de monde qui s’offrent à lui dès les années 70 et 80 lors de concert à Rennes. Durant cette période deux rencontres sont déterminantes : celle du critique d’art charismatique Bernard Lamarche-Vadel qui enseigne alors à Quimper, où prend naissance la revue Artistes, et celle de Richard Wentworth rencontré en Angleterre au Leicester Polytechnic School of Art. Avec le premier, qui l’invite à présenter ses sculptures dans l’exposition Ouvrir en beauté (1984), il tisse un lien d’amitié avec un sentiment fort de partage d’idée et d’affinité prolongé par la rencontre de nombreux artistes et critiques. Le deuxième, qui a joué un rôle de premier plan dans la nouvelle sculpture britannique à partir des années 70, lui a montré que des gestes modestes et une approche très libre, issus d’expériences quotidiennes, pouvaient modifier la définition traditionnelle de la sculpture et de la photographie. Pour autant Hervé Le Nost ne se sent pas appartenir à une famille si non à celles qu’il a constituées comme Odetta Family (2015-…), une galerie de portraits en trois dimensions qui reprend la forme des vases Odetta édités durant la période Art déco. Cette série, comme celles qui ponctuent son travail, fait partie d’une oeuvre qui porte en elle la force d’un paradoxe par l’aspect unitaire qu’elle revêt malgré une pluralité de matières, de couleurs, de supports, de formes… issues de gestes et de pratiques multiples.

1. Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, Prologue, § 5, trad. Henri Albert.

Les assemblages du caméléon

« La terre,
sous mes pieds,
n’est qu’un immense
journal déplié.
Parfois une photographie passe,
c’est une curiosité quelconque
et des fleurs monte uniformément
l’odeur,
la bonne odeur
de l’encre d’imprimerie. »

André Breton, Poisson soluble, 1924.

Les personnages d’Hervé Le Nost prennent de multiples formes. Partout, on perçoit des regards, des rictus, des attitudes faites de marabouts ou de bouts de ficelles. Aux antipodes d’une représentation humaine, les objets semblent pourtant animés d’un souffle absurde et décalé. Ils exultent, prêts à éclater d’un rire grinçant. Ce réalisme n’est pas le fait du hasard. Chaque assemblage provient d’une rencontre entre l’artiste et une information extérieure : un film, une conte, une ville. La recherche se développe à partir d’une pratique déambulatoire et photographique. À l’affût, l’artiste glane structures, couleurs, matières et agencements observés autour de lui. Les photographies constituent un réservoir, une boîte à outils. Ce carnet de voyage est remanié lors de la seconde étape : la sculpture. Après avoir puisé dans son florilège d’images, Hervé Le Nost assimile, digère et ré-investit les formes dans l’espace. Les sculptures parfois monumentales se composent par empilement ou accumulation. Leurs modes de fabrication empruntent au bricolage une spontanéité devenue résistance. L’artiste s’engage dans un processus assumé de perte de contrôle. Aussi, la céramique, le verre ou le plastique sont autant d’outils déployés au même titre que la photographie elle-même. Les matériaux et les sujets sont détournés, déroulant une succession de corps étranges, parfois anthropomorphes. Par ces jeux formels, l’artiste explore sans cesse une infinité de possibles combinaisons. Il transfigures les échelles, les modes de représentation. Ici, on aperçoit la proue d’un bateau, là, le cabinet de curiosités d’un probable récit de science-fiction.

Déconstruction et reconstruction deviennent le leitmotiv de la pratique artistique. S’il renverse les codes de la statuaire classique, Hervé Le Nost renoue aussi avec la technique du modelage. Ses bustes et vases présentés sur des promontoires démantèlent les codes esthétiques. Dans un aller-retour constant entre les mondes du jeu et de la fête, maquettes et origamis côtoient puzzles et boules à facettes. Ces monstres trop colorés pour être effrayants prennent la forme d’un Puissance 4 géant, d’un Rubik’s Cube, d’un LEGO ou d’un canard gonflable. Les oeuvres sont des farces, des fictions inspirées tour à tour de la bande dessinée ou de la télévision. En 2014, Hervé Le Nost évoque la célèbre série Le Prisonnier. Au festival de l’Estran à Trégastel, il rejoue l’imagerie des années 1970 en réalisant le polyèdre qui hante le personnage principal, un agent secret britannique enfermé dans une mise en scène surréaliste. La symbiose de la culture dite « populaire » et de sujets historiques comme Les Songes drolatiques de Pantagruel ¹ de Rabelais, ancre la pratique d’Hervé Le Nost dans une rupture continuelle.

Enfin, il revient sur ses pas et investit l’espace public de sculptures joyeuses grandeur nature, catapultées par un esprit bizarroïde. L’imaginaire caustique aux couleurs tranchées côtoie les univers bétonnés des cités scolaires ou autres bâtiments publics. Dans un monde qui tend à développer les usages immatériels, Hervé Le Nost reste en première ligne de la matière modelée à l’infini. Il poursuit son irrémédiable envie de kitsch, de légèreté, de poésie fantasque.

Élise Girardot, critique d’art, janvier 2020

1. Les Songes drolatiques de Pantagruel constituent une série de 120 gravures publiées par Richard Breton en 1565 sous le nom, usurpé, de François Rabelais. Les planches représentent une série de figures hybrides, monstrueuses et grotesques, évoquant parfois les peintures de Bosch ou de Bruegel.