Les dessins drolatiques illustrant les “Songes de Pantagruel“ de Rabelais trouvent une résonnance dans le travail de sculpture présenté à l’église Sainte Radegonde de Chinon. Un ensemble de têtes occupe la grotte, elles sont portées par une structure présentoir précaire. La première des têtes réalisée : “Bonhomme de neige“ date de 1995, elle reprend la forme sommaire de celle d’un bonhomme de neige, replaçant ainsi le contexte à une origine populaire du modelage, de la statuaire, de l’exposition, l’oeuvre et le lieu d’exposition étant là éphémères et tributaires des circonstances climatiques et des aléas de la couche neigeuse. Ce premier portrait est né de l’idée de se saisir d’une image banale d’un paysage de neige diffusée sur une carte téléphonique afin d’en fabriquer un objet réponse. Une seconde tête déclinaison de la première en verre soufflé et étiré (présentée au musée), fût réalisée en 2011 avec l’équipe du centre international d’art verrier de Meisenthal. A partir de ces têtes une série s’est alors développée et poursuivie. Cette série récente vient relater le récit d’une sorte de voyage immobile, un voyage imaginaire, qui s’est défini à partir de la réunion de photographies de voyages, de notes et de souvenirs de visites et de lectures. L’esprit de ce travail s’apparente à celui d’un télescopage de compilations de sources qui prennent la charge exotique du farfelu. Tout cela s’est conçu depuis des souvenirs, des expériences de voyages. A cela s’additionne un inventaire de textes, iconographies etc… Les écrits de Flaubert (Bouvard et Pécuchet), Roussel (Impressions d’Afrique), Malraux (Écrits farfelus), de Vian (Vercoquin et le plancton), Chevillard (Les absences du capitaine Cook), Don de Lillo (Mao II), de Marcel Griaule (Dieux d’eau), Lévi-Strauss, Roger Caillois (Méduses et compagnie)… Les récits de voyage Nicolas Bouvier (Chronique Japonaise)… Les Robinson, Gulliver, Simbad… Le cinéma de Tziga Vertov, de Jean Rouche,Godart, les créatures King Kong, Frankenstein, Terminator… la poésie de Saint-John Perse, celle d’Aimé Césaire…. Zappa and the mothers, Ermetto Pascual… Mais bien-sûr la peinture de Jérôme Bosh, les dessins et les sculptures grotesques de la renaissance, les collages de Max Ernst et de George Hugnet, la période « vache » de Magritte, la sculpture de Picasso, le clown de Bruce Nauman…
Les têtes portent ces parrainages, ces turbulences, celles de la fantaisie, du risible. En 1987, Bernard Lamarche-Vadel écrivait dans un communiqué de presse “S’il poursuit son travail dans le sens de l’assemblage, ces dernières oeuvres s’inscrivent à la confluence des registres… Pour y manifester la surdétermination de l’assemblage dans le sens d’une distribution spatiale, hiérarchisée par une forte structure d’étagement. Ainsi s’organise le dialogue entre les motifs disséminés sur une structure pensée en termes de socle et présentoir du farfelu à l’état pur.“
Mon travail est ancré sur des pratiques de photographie, sculpture, dessin, vidéo et des paramètres tels que l’espace, la couleur, l’échelle, le bricolage ou la production, l’assemblage de matériaux. Il est un instrument et un vecteur de prise avec une réalité quotidienne de micro événements ou situations. La photographie s’attribue la part du repérage des signes, des formes, des couleurs. J’accorde une grande fonction intuitive à la photographie. L’appareil numérique me permet d’épuiser les cadrages, d’aller jusqu’à l’usure. L’oeil finit par ne plus savoir ce qu’il voit. L’aveuglette m’entraine. La sculpture poursuit le travail de repérage photographique. Farfelu et exotique, ces deux notions servant mutuellement à se qualifier, elles donnent la liberté appréciable de se détourner en ne perdant rien des turbulences du monde.
Hervé Le Nost